La couleur du gris

Bonjour.

Ayant rencontré Jean sur les quais de La Rochelle, celui ci me proposa de nous suivre avec deux autres bateaux pour la télé locale ce que j’acceptais bien volontiers en le remerciant. Nous nous sommes rapidement trouvé des connaissances communes à Marseille dans le domaine de l’audio visuel, d’autant plus facilement que c’est le domaine professionnel de Jean qui est resté de longues années à Marseille. De plus, nos relations communes sont des amis  de Grazyna et Eric, Grazyna étant présidente d’honneur de Thalassanté pour en avoir assumé la réelle présidence pendant un an. Jean me demanda donc avant de larguer les amarres de lui envoyer des nouvelles et une photo si quelque chose d’exceptionnel arrivait.  Alors j’ai attendu le moment, attendu et attendu … J’attendais donc l’événement suffisamment percutant a mon sens de téléspectateur pour écrire à mativi.fr et … à moins de 2 jours de l’arrivée, si les vents et la mer le veulent bien, force est de constater  que je n’ai rien raconté. Comme si rien exceptionnel n’avait eu lieu ! Et pendant la nuit dernière, alors que les vents et la mer nous imposaient une navigation difficile dans une mer hachée, désordonnée, faisant régulièrement taper le bateau, je revoyais tant de moments exceptionnels, mais a mon sens de marins et non plus de téléspectateur habitué aux « événements ». Il s’agissait plus de moments exceptionnellement ressentis. Alors, arrivant bientôt aux Azores, je vous envoie un souvenir d’un moment que je caractérise d’exceptionnel, de merveilleux, d’inattendus et attendus à la fois, celui du premier coucher de soleil de cette navigation La Rochelle Les Acores. Imaginer tout d’abord plus de trois jours d’affilé dans du gris contrastant avec le souvenir des images de fêtes du spectacle du départ et des derniers jours à terre. Mer grise, ciel gris, nuages gris.  Alors gris clair, gris foncé, gris profond, gris aquarelle, gris blanc. On se met alors à découvrir, merveille de l’adaptation, que tous ces gris ne sont pas si mal que  cela et je me mets à en apprécier de plus en plus les nuances et a me contenter de ces gammes fines de gris. Même la couleur du pont et de la coque sont gris. Et pour le coucher de soleil du nouveau jour, toujours rien. Or il faut savoir que ces moments sont toujours attendus, surveillés. On prend le repas au moment du coucher de soleil ou avant pour que tout le monde soit heureux de ce moment partagé. Si en plus, des dauphins viennent jouer a ce moment, les cris de l’équipage les encouragent et au moment ou l’astre disparait, d’un seul coup, tout le monde retourne aussitôt à ses occupations, soit la bannette pour les équipiers de quart de repos, le rangement de la cuisine pour l’équipier de quart de cuisine, et le pont pour les équipiers de quart de pont. Mais, encore plus dur a avaler sont les levers de soleil  gris eux aussi et ca, c’est vraiment rare et frustrant, surtout pour nous, méditerranéens avides de lumière que nous sommes. Impossible de deviner ou se lève le soleil. A l’est me dites-vous ? OK! Mais pas un brin de couleur rouge, rose, même gris rosé. Pourtant, le quart du lever de soleil, c’est le meilleur. Nous sommes sorties de notre bannette, nous sommes couverts de couches de vêtement sachant que dans quelques heures, nous allons avoir le meilleur de la journée, le lever de soleil. L’astre se lève, tel un moment sacré ou, la plus part du temps, nous revivons cet instant que nos lointains ancêtres vénéraient a sa juste valeur, tant nous sommes totalement liés a lui. Les premières lueurs nous nourrissent, le jour se pointe et on contemple la montée en puissance des couleurs selon les nuages, la brume ou un ciel dégagé.

Et la, pour le troisième matin, toujours rien, a part du gris, gris, gris. Tout cela est du a une mauvaise visibilité qui réduit notre environnement visuel à quelques milles tout au plus. Alors autant vous faire ressentir ce que le premier coucher de soleil digne de ce nom nous a apporté. Ce fut un vrai moment exceptionnel ou nous avons encore plus pris conscience du manque qui nous habitait depuis notre départ. Il fut du genre totalement délirant tellement tout changeait toutes les 5 secondes environ. Le soleil lui même se trouvait comme incrusté de fils d’or plus foncés décrivant des signes en mouvement, comme l’écriture d’une histoire éphémère et infini. Pour la première fois, peut être parce que mes navigations remontent à une période ou je n’avais pas encore découvert les pays arabes, j’étais stupéfaite de voir s’écrire leur langue si mystérieuse pour moi avec la ligne « rectiligne » et foncée représentée par la base caractéristique des nuages juste au dessus de l’horizon. Accrochées à cette base, des nuages dans les rouges et noirs décrivaient des arabesques rappellent les lettres de leur alphabet. C’est toujours émouvant de découvrir de nouvelles interprétations dans le ciel. Il faut s’imaginer qu’il est notre unique écran télé et qu’il n’y a qu’une seule chaine, la locale.

De plus, Annabelle, coéquipière embarquée à La Rochelle, découvrait son premier couché de soleil en haute mer. Comme si le ciel avait attendu que nous soyons loin de toutes cotes, déjà un peu débarrassé de la multiplicité des images terriennes pour mieux faire apprécier ce coucher de soleil en symphonie de couleur, de dessins, d’images,
d’illusions et de beauté.

Bises à tous Claire sur Thalassanté par 38’07 Nord et 22’47 West.