Sur le livre de bord, la dernière ligne faisant apparaître une vitesse de 2,8 noeuds sur le fond et 1,6 noeuds sur la surface remonte à hier 13H10. Nous avons tout de même continué à avancer car je me rappelle les thons qui sont restés tout l’après midi à nos côtés et dans notre sillage. S’habituant à nous et peut-être curieux, ils se sont approchés latéralement jusqu’à 1,5 mètres du bord.
Depuis ce temps, nous attendons le vent. Il est reparti et avec lui cette force extraordinaire et invisible mais tellement palpable pour un voilier. Habituellement, notre mode de vie dépend de lui, de sa direction, de ses humeurs changeantes, de sa douceur, de sa colère. En fait, on accepte toutes ses humeurs car il nous fait avancer. C’est un jeu entre nous, souvent plaisir et parfois fatiguant. Mais là, c’est tout autre chose, on mesure le degré de dépendance dans lequel nous sommes. Attendre, attendre, attendre. Cela ne devient plus un état mais une action. Et plus on attend, plus tout est long à attendre. Par exemple, ce lever de soleil me parait le plus long que j’ai jamais attendu. Il fait complètement jour, les lueurs matinales ont fait place aux bandes rougeâtres sur tout l’horizon qui maintenant font place à une couleur bleuâtre palote, avec un point de rougeoiement intense qui laisse présager son arrivée imminente, mais non, rien, toujours pas de disque solaire sur l’horizon. Attendre ce lever de soleil est une attente interminable avec l’avantage que je sais que cela va arriver et de façon imminente, même si cela paraît interminable. Mais ce vent, quand viendra t il ? Nous sommes deux dans cette barque, à être ballotés comme des gens d’une autre planète dans cet espace temps où rien ne se passe d’autre que attendre. Et ce soleil qui ne veut pas se lever, ….
C’était magnifique, un de ces levers qui donne la vie dans un mouvement d’extrême perfection de beauté simple. Simple mais revelant les forces incommensurables de ces masses qui tournent sans fin les unes autour des autres et sur elles mêmes. Cela me rappelle les danses des cours d’école. Tourner, jouer, se cacher, disparaître, réapparaître, … le soleil est déjà haut sur l’horizon, la lune elle va vers son couchant, et oui, la terre tourne !
Écriture matinale un mercredi 10 juin dans la mer ionienne.