Départ étrange. Si nous avions fait une seule réunion pour l’organisation de cette journée, nous aurions passé en revue divers scénarios, sans jamais pouvoir imaginer que la batterie obéissante à 12 heures se manifesterait de façon si désarmante à 16 h.
Quatre heures pour rendre une batterie hors service, juste ce jour-là, juste à ce moment-là.
Cela nous inspire un épisode de série policière:
Mort subite d’une batterie… mais que s’est-il donc passé entre 12 et 16 heures. L’équipage enquête.
Les voilà hors de la vue de leurs conteneurs, pour les derniers adieux. Ils font demi-tour, histoire de prolonger, de ne pas couper, de rester un instant suspendus dans l’entre deux … d’ailleurs à terre, certains pensent bien qu’ils reviennent.
Revenons à cette batterie dédiée uniquement au démarrage. Avec le générateur du moteur principal et l’éolienne, la batterie est vite rechargée. Le multimètre donne plus de 14 volts. Petite concertation et le moteur est stoppé.
Bonheur de ce moment toujours vécu comme un soulagement, une délivrance. Aller à la voile est notre vie, notre respiration.
Mais l’épisode n’est pas terminé, l’énigme reste toute entière.
On redémarre le moteur par un geste habituel qui consiste à bloquer l‘arbre d’hélice en coupant le moteur tout en restant embrayé … rien, rien, rien à faire, silence moteur. L’équipage est alors bien content d’avoir envisagé une escale de décompression à Port de Bouc. Cela faisait sourire certains de les voir, pour un si grand départ, projeter une escale si proche. Pourtant l’exploit était bien de quitter le quai, ce quai-là, celui de onze années de vie portuaire hors du commun. Si nous étions partis à 16 heures … si la batterie n’était pas … si nous n’avions pas encore la pharmacie à aller chercher, un rendez-vous à caler … mais quel est l’intérêt des si, juste une perte d’énergie. Il faut juste gérer le présent, nous sommes partis.
Au revoir l’Estaque, notre place est vide, le mât de 26 mètres au-dessus de l’eau est absent. Bonjour Port de Bouc, le voyage est commencé mais nous devons souffler. Tout a même failli s’arrêter là. Les dangers ne sont pas tant en mer qu’à terre.
Nous voici pris en charge par «Galéné», le bateau de nos fabuleux amis plongeurs d’ArcelorMittal. Nous sommes devant le port, «Galéné» doit maintenant manoeuvrer pour nous prendre à couple. Peut-être un instant d’absence, d’excitation ou de fatigue, je ne sais pas si quelqu’un a vraiment vu le coup arriver. On va sur les cailloux.
Nous entrons en phase de test: chance malchance chance malchance chance malchance …. La roulette s’arrête sur «chance» cette nuit-là, avec Serge qui a le bon réflexe de nous larguer plus vite que prévu et José qui, à la barre, utilise à merveille un léger mouvement de culage.
De l’avant, c’est très joli ce défilé de cailloux devant notre balcon, presque «sous» notre balcon. A l’avant, il n’y a pas de sentiment de danger pour nos vies. C’est pour notre seconde peau, notre bateau, notre «Thala» que tout se joue. Les cailloux sont là, prêts à dévorer notre aluminium, à absorber d’un seul coup notre voyage, notre tour du monde … notre si belle coque.
Il est devant moi. C’est un beau caillou plat, blanc, du calcaire, du bon squelette d’animaux marins, parfaitement accueillant. Je le fixe frontalement. Je le jauge. On peut sauter sans aucun risque et prendre appui sur le balcon pour déborder. Mais voilà, je ne bouge pas … ce n’est pas ma volonté qui commande, j’ai passé la main à mon instinct.
Je ne vois pas José à la barre qui se bagarre, Yves, François, Karine, chacun se met à espérer fort. On ne se regarde pas, on se racontera cela tout à l’heure, à quai.
Je vois seulement mon caillou de secours s’éloigner, le voyage est sauvé. J’aurai tellement voulu prendre la photo, pour vous, pour nous, pour ce caillou que j’ai bien aimé, le temps d’un lent mouvement d’évitement.
Et au petit matin, la folie nous reprend: allers et retours entre Marseille et Port de Bouc, récupérer une pharmacie, passer des coups de fils, des rendez-vous de derniers moments, la Région Provence Alpes Côte d’Azur pour le matériel de tournage, des adieux ….. je trouve au fur et à mesure des chauffeurs, je ne veux pas conduire, je sais que je tiens par la pression, je sais que je tire sur la ficelle, trop de manque de sommeil depuis tant de jours, attention aux derniers moments, c’est souvent là que tout bascule, trop bête, pas question. Merci mes chers conducteurs, Marie, Serge, Jonathan, je me fais promener, mettant à profit ces moments pour discuter, me relaxer. Une dernière réunion s’improvise facilement pour le projet Marseille Provence 2013. Jonathan, co- architecte avec Amine de la base portuaire de Thalassanté, Malène, Serge. Moment important de transmission, prise de rendez-vous, de décision, tant qu’il est encore temps. Jonathan réagit en vrai marin qu’il est effectivement, saisissant l’opportunité d’une belle ballade en mer Méditerranée. Demain matin, il met son sac à bord pour Barcelone … et toujours et encore: dernières visites privilégiées, rangements, coups de fils, c’est le marathon, nous voulons tous partir ce soir, je ne veux toujours pas conduire. J’ai oublié mon téléphone dans le conteneur. Nous voilà partis à 2 voitures pour rendre à Nîmes la voiture prêtée. La télécommande est restée à l’intérieur. Nous voilà bloqués, bientôt transformés en crocheteur de voiture. Mais quand arriverons nous donc à partir!
Et la terre tourne, le temps passe, nous voici enfin à bord, rituel de tour de pont, la luminosité faiblit, oui, le moteur démarre au quart de tour.
Revenons en arrière. Dimanche 18 septembre, 12 heures. On débranche le chargeur de quai, la batterie démarre parfaitement. Nous sommes en place mais sans branchement électrique de quai. La batterie se décharge à notre insu. Elle a décidé de mourir aujourd’hui, rien ne l’arrêtera plus. En fait, elle n’a plus d’eau. Sans eau, la charge ne tient plus. A Port de Bouc, Yves mettra 2 litres et demi d’eau pour refaire le niveau.
Tout est élucidé, mais comment cela a-t-il pu arriver? En fait, la batterie à bord depuis presque 2 ans était avec entretien, contrairement à la précédente et à toutes les autres du bateau. Yves ne l’avait pas vraiment réalisé et donc, nous ne l’avons jamais vérifiée.
N’ayant pas bougé du quai depuis le Rallye de l’Olivier au mois de mai, toujours sous alimentation continue, la pensant sans entretien, nous n’avons pas pensé à un assèchement fatal.
L’enquête est terminée.
Cap sur Barcelone.